La situation exceptionnelle peut révéler des dissensions déjà existantes au sein du couple.
Article paru au journal Le Figaro, 19 mars 2020, avec la participation d’André Letzel
Cohabiter 24 heures sur 24, quand on a l’habitude de ne se voir que quelques heures par jour, cela peut vite devenir conflictuel… Et les conséquences peuvent en être graves pour les couples: un article paru le 7 mars dernier dans le quotidien chinois Global Times rapporte ainsi qu’immédiatement après la levée des mesures de confinement, le nombre de demandes de divorces a explosé dans certains districts de Xi’an, capitale de la province du Shaanxi, au nord-ouest de la Chine. Et si pour certains c’est une séparation «coup de tête» (ils reviennent ensuite sur leur demande), d’autres ne peuvent que constater que l’épidémie a aussi eu raison de leur couple.
La situation exceptionnelle peut révéler des dissensions déjà existantes au sein du couple. «Si les gens divorcent parce qu’ils sont un ou deux mois ensemble, c’est peut-être une bonne chose, remarque Jérémy Royaux, psychothérapeute. Qu’est-ce que cela aurait été une fois à la retraite?» Atmosphère anxiogène en moins, la mise à la retraite est effectivement aussi «une période de tensions entre des personnes jusque-là actives et qui doivent subitement vivre une coprésence longue durant la journée», note Christophe Giraud, sociologue, chercheur au Centre de recherche sur les liens sociaux.
S’ouvre alors «une phase de tensions car une renégociation des usages et des endroits du foyer s’impose. D’aucuns pourront alors se sentir dépossédés de certains espaces du ménage, comme la cuisine ou de certaines habitudes. La situation exige des discussions pour renégocier les horaires, les usages de la télévision, des habits (peut-on rester en pyjama toute la journée ou doit-on s’habiller?), de la nourriture (respecte-on les horaires des repas?)…»
Pour fonctionner, le couple a besoin d’espace et de distance entre soi et l’autre, de moments pour soi
André Letzel, sexologue et conseiller conjugal
Même analyse pour André Letzel, sexologue et conseiller conjugal, qui compare la situation aux vacances. Une période à l’issue de laquelle son cabinet connaît une forte demande… Le confinement ajoute une nouvelle dimension, car «chacun doit pouvoir trouver sa place dans un espace restreint avec des activités de travail, de parent, de professeur, de partenaire».
Le confinement peut aussi accentuer les inégalités au sein du couple: alors que les hommes sont présents et donc tout aussi disponibles que les femmes pour contribuer à la bonne marche du foyer, le partage des tâches ne se fait pas toujours de manière égalitaire et les femmes voient leur charge mentale accrue entre travail personnel, cuisine – deux fois par jour au lieu d’une, occupation des enfants, suivi du travail scolaire et entretien de la maison.
La situation implique aussi «une redéfinition des moments où l’on est vraiment soit même, ni salarié, ni parent, ni conjoint, note Christophe Giraud. Confinés, ces moments sont rares, ce qui crée des tensions pour tous.» Pour fonctionner, «le couple a besoin d’espace et de distance entre soi et l’autre, de moments pour soi», indique André Letzel. «Être trop collés tue le désir. Il faut pouvoir s’aménager des moments pour soi pour ne pas faire du confinement un “étouffe amour”.» D’autant que le contexte oppressant «peut ne pas être propice à être dans une disposition psychique favorable au fait d’avoir des relations sexuelles. Ceci peut créer des distensions surtout si les deux partenaires ne vivent pas le confinement de la même façon.»
Pour faire survivre son couple, Jérémy Royaux invite «à essayer d’arrêter de penser qu’il y a une personne qui a raison et une autre qui a tort, à expliquer son point de vue en cas de désaccord et à aider l’autre à faire pareil: le but est de comprendre les deux visions du monde différentes et de trouver des compromis.» Il faut veiller «à bien communiquer, à faire un planning d’activités, à essayer d’en trouver de nouvelles (seul ou ensemble: retaper ou ranger son lieu de vie…) et à se préparer à une longue période de confinement complet ou partiel». André Letzel recommande de «demander régulièrement à l’autre: “De quoi as-tu besoin?”et voir comment on peut s’organiser pour trouver des solutions pragmatiques au jour le jour.» Il faut «inventer une forme de souplesse, s’efforcer de prendre soin de l’autre et de créer une harmonie, tout en conservant du temps pour soi».
Il faut inventer une forme de souplesse, s’efforcer de prendre soin de l’autre et de créer une harmonie, tout en conservant du temps pour soi.
André Letzel, sexologue et conseiller conjugal
Et si des discussions s’imposent, rappelle Christophe Giraud, il faut toujours être solidaires. En effet, «la situation met également en avant une mobilisation collective, de solidarité du noyau familial pour se protéger les uns les autres». On pourra ainsi tenter de faire du confinement un moment où l’on retrouve l’autre, où l’on redéfinit sa vision du couple et de la vie à deux et où l’on apprend à se soutenir.